Elles ont accepté de nous parler de leurs recherches, entre étude de la turbulence dans l'océan ou exploration du « chant » des étoiles, et de partager leur vision de la place des femmes dans les sciences.
Pouvez-vous nous parler de vos recherches ?
Julie : Doctorante en océanographie physique, je considère l'océan comme un fluide dont j'étudie la dynamique et les particularités (rotations, changements de densité, etc.). Je m'intéresse plus particulièrement à la turbulence dans l'océan, c'est-à-dire à ses mouvements chaotiques et imprévisibles qui se manifestent par des tourbillons pouvant atteindre jusqu'à 50 km de diamètre dans l'océan Austral.
Bien que la formation de ces tourbillons soit désormais comprise, leur influence sur l'évolution de l'océan à très long terme reste incertaine. Mon objectif : modéliser ces tourbillons et affiner leur prise en compte dans les modèles océaniques et climatiques du GIEC. Ces tourbillons jouent un rôle dans la capacité de l'océan à transporter le carbone ou encore les nutriments à travers les bassins océaniques.
Au quotidien, je m'appuie donc sur les équations de la mécanique des fluides. Ce qui me passionne, c'est ce travail à l'interface entre deux domaines complémentaires : la physique théorique et les enjeux climatiques.
Leïla : De nombreuses ondes se propagent dans les étoiles. C'est le cas notamment des ondes acoustiques : c'est comme si les étoiles « chantaient » ! On arrive à détecter ce « chant » grâce à des missions spatiales, comme la mission PLATO dans laquelle le CEA est impliquée et dont le lancement est prévu pour 2026. Grâce à ces ondes, les astrophysiciens arrivent à mieux comprendre les étoiles.
Cependant, de la même manière qu'il faut pincer une corde de guitare pour qu'elle émette un son, le « chant » des étoiles ne peut être détecté que si on lui apporte de l'énergie, via un mécanisme d'excitation. Dans les étoiles de type solaire, ce sont des tourbillons de fluide dus à la convection qui excitent les ondes. Dans le cadre de ma thèse, j'ai développé des modèles mathématiques pour comprendre l'influence de la rotation et du champ magnétique dans ce processus. Notamment, nous pensons que ces deux aspects ont tendance à réduire l'excitation des ondes… c'est comme si le « chant » des étoiles n'était pas assez fort pour être détecté !
Que représente pour vous cette distinction ?
Leïla : C'est une belle reconnaissance pour mon travail de recherche. La science doit refléter la diversité de notre société, et il est essentiel de la rendre accessible à toutes et à tous.
Ce prix résonne également avec mon engagement au sein de l'association Projet Matilda, que j'ai cofondée pour diffuser les sciences auprès des femmes et des jeunes issus de milieux moins favorisés. Les sciences souffrent encore trop souvent d'une image élitiste et difficile. Montrer des modèles variés de femmes, de personnes issues de l'immigration et de milieux sociaux différents dans les sciences, permet aux jeunes de dépasser l'autocensure et de les encourager.
Julie : Une reconnaissance importante de mon travail, mais aussi une occasion de mettre en lumière les contributions des femmes dans notre discipline. En physique - et notamment en turbulence - nous sommes encore très peu de femmes. Ce type d'initiative nous permet à toutes de nous rassurer sur notre légitimité dans un univers très masculin.
Tout au long de ma thèse, j'ai gardé en tête des exemples de femmes scientifiques avant moi, dont certaines lauréates de ce prix, ce qui m'a permis de mettre un visage féminin sur des carrières scientifiques. Je suis donc particulièrement touchée de contribuer à mon tour à la transmission d'une image plus féminine des sciences pour les doctorantes à venir. J'espère sincèrement que ce prix encouragera d'autres femmes à se lancer, et qu'il participera à la féminisation progressive du domaine de la physique théorique.
Quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes femmes qui hésitent à se lancer dans une carrière scientifique ?
Julie : Vous avez les mêmes compétences que les hommes. Laissez-vous guider par votre curiosité : la physique vous attire, foncez ; les maths ou la chimie vous intéressent, lancez-vous ! Il n'y a pas de disciplines plus adaptées aux femmes que d'autres. Et peu importe le domaine que vous choisirez, vous serez toujours soutenue, même dans des milieux très masculins, et sans avoir à effacer votre féminité.
Leïla : Les sciences regorgent de belles opportunités, dans la recherche mais également dans d'autres domaines comme l'industrie ou la tech : allez-y ! Bien sûr, ce n'est pas toujours facile de se sentir à sa place dans des milieux qui sont moins féminisés, mais avec de la curiosité et de la motivation vous y parviendrez !